Julie Beauzac (Vénus s’épilait-elle la chatte ?) raconte son parcours et ses conseils

J’ai eu la chance de recevoir récemment Julie Beauzac, du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte ? triplement récompensé lors du dernier Paris Podcast Festival, chez moi quelques jours.

 

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Long story short, Julie a accepté de répondre à quelques questions pour raconter son parcours et donner des conseils pour se lancer en podcast. Je vous laisse donc avec elle et cet entretien passionnant !

Le parcours de Julie Beauzac (Vénus s’épilait-elle la chatte ?)

Comment Julie Beauzac a lancé Vénus s’épilait-elle la chatte ?

« Je m’appelle Julie, j’ai 35 ans et je vis à Berlin. J’ai créé Vénus s’épilait-elle la chatte fin 2019, pour vulgariser l’histoire de l’art avec une perspective féministe.

J’ai fait des études d’arts appliqués et d’histoire de l’art, d’abord à la fac, puis à l’école du Louvre. J’ai connu cette école par une prof de la fac qui y enseignait aussi, et je suis un peu tombée de haut face au classisme qui y régnait. Je me disais que ça venait de moi, et que si j’arrivais à me couler dans le moule tout se passerait bien.

Après mon M2 marché de l’art j’ai été assistante dans deux galeries d’art (où l’on vendait principalement du mobilier Art Déco, ma passion à l’époque), mais le classisme n’a jamais cessé. J’étais mal payée, mes tâches n’avaient pas grand intérêt, et je m’en prenais plein la figure parce que j’étais une femme jeune issue de la classe moyenne, qui n’avait pas les codes de la bourgeoisie (voire de l’aristocratie dans certains cas).

J’ai démissionné parce que je n’en pouvais plus, et je suis allée m’installer à Berlin. Je me suis complètement désintéressée de l’art et j’ai décidé que quitte à être mal payée, je ne ferais plus que des boulots alimentaires, sans enjeu pour moi, qui me laisseraient du « temps de cerveau disponible ». J’ai eu la chance de trouver un poste salarié en traduction/rédaction pour une boite de marketing. Ce n’était ni très intéressant ni très bien payé, mais j’avais des collègues sympas, pas énormément de travail et aucun stress.

« J’ai mis des mots sur mon féminisme et commencé à

me sensibiliser aux autres formes d’oppressions systémiques. »

Parallèlement j’ai mis des mots sur mon féminisme, j’ai beaucoup lu sur le sujet et j’ai commencé à me sensibiliser aux autres formes d’oppressions systémiques. Au bout de quelques années j’ai commencé à retourner dans les musées et, avec un nouvel œil plus aiguisé, j’ai été effarée de voir le nombre de scènes de viol érotisées, les femmes objectifiées, à poil sans raison, dont on ne m’avait jamais parlé durant mes études.

En me documentant sur le sujet je me suis rendu compte que plein de personnes avant moi avaient eu la même révélation (par exemple Linda Nochlin et John Berger qui ont fait des travaux extraordinaires sur le sujet dès les années 1970), mais c’était beaucoup dans un contexte universitaire et/ou anglophone. Je n’arrivais pas à trouver un contenu simple, qui parlait des biais de l’histoire de l’art, de façon accessible, pour des personnes qui ne s’y connaissaient pas forcément.

C’est une histoire visuelle vieille de plusieurs siècles, qui a défini des codes toujours actuels, par exemple au cinéma, et a conditionné beaucoup de nos impensés, à commencer par la culture du viol. Ça me semblait essentiel d’en parler avec cette perspective, parce que ça éclaire beaucoup d’aspects de nos sociétés actuelles.

Ma première idée était d’écrire un livre, mais mon amie Anne-Lise, qui a beaucoup fait pour Vénus, m’a plutôt conseillé de faire un podcast, en m’expliquant que j’aurais des retours directement, la possibilité de traiter plusieurs sujets, et que j’aurais moins de mal à trouver une audience qu’avec un livre. J’ai trouvé que c’était une idée de génie alors je m’y suis mise, voilà ! »

Les obstacles rencontrés par Julie Beauzac

« La première difficulté a été d’écrire pour de l’audio. J’étais habituée à écrire des articles, etc, mais écrire un podcast c’est complètement différent. Il faut avoir un style plus direct, ne pas trop entrer dans les détails, être concis·e, et formuler des phrases qui ont l’air spontanées à l’oral. Idéalement ce sont des phrases courtes, qui suivent un déroulé logique.

On ne peut pas mettre de parenthèses, ni de notes etc., donc le message doit être clair tout de suite. Il faut aussi gérer les temps de parole pour trouver un bon équilibre entre la narration, les interventions des invité·es et l’habillage sonore.

Au début il m’arrivait d’écrire des monologues d’une page, et je me suis vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas du tout, c’était insupportable à écouter ! L’idée c’est vraiment d’aller à l’essentiel pour ne pas perdre l’attention des auditeur·ices. En général je suis mon propre « outil de mesure » : quand je réécoute un passage et que je le trouve trop long ou trop détaillé, je me dis que sera sûrement pareil pour d’autres personnes, donc je l’ajuste jusqu’à ce que ça me plaise.

« Aller à l’essentiel pour

ne pas perdre l’attention des auditeur·ices »

J’ai appris tout ça un peu sur le tas, en faisant beaucoup d’erreurs et en les corrigeant, et c’est toujours en cours d’apprentissage. Je passe encore beaucoup de temps à faire la transition entre le script écrit et l’enregistrement oral, je réenregistre souvent plusieurs fois jusqu’à ce que ce soit assez fluide.

La 2e difficulté est directement liée à la première : j’ai eu beaucoup de mal au début à m’enregistrer pour les passages de narration. Les premières versions du 1er épisode étaient très mécaniques, parce que même si j’essayais d’y mettre un peu de vie je lisais mon script, et c’était vraiment pénible à écouter.

La mère d’une amie, qui est comédienne, m’a appris à me détacher du script, à faire comme si je parlais à une personne en face de moi, ou comme si j’étais sur une scène, pour mieux « incarner » ce que je suis en train de dire, et ne pas réciter de façon monotone.

La 3e difficulté, que je rencontre à chaque épisode, c’est de faire des choix, parce qu’on ne peut pas tout dire. Peut-être contrairement à un support écrit où on peut se permettre d’être exhaustif, un podcast c’est avant tout un objet sonore cohérent, qui doit être fluide, facile et agréable à écouter. Je dirais qu’entre les recherches, l’écriture du script puis l’épisode final, j’enlève entre 30 et 40% des infos que j’ai réunies.

Au-delà des difficultés techniques, il y a évidemment les conditions matérielles et financières. Moi j’ai eu la chance d’avoir un boulot alimentaire qui me laissait beaucoup de temps libre, et ensuite le chômage. Sans ça le podcast n’aurait tout simplement jamais existé. Comme n’importe quel processus créatif, c’est très compliqué de s’investir dedans lorsqu’on a un boulot à temps plein, une famille à s’occuper, des difficultés financières et une charge mentale élevée. Moi je vis seule et je n’ai pas d’enfants, et dans mon cas c’est un privilège énorme pour travailler sur le podcast. »

Les conseils de Julie Beauzac

Le meilleur conseil reçu pour Vénus s’épilait-elle la chatte ?

« Celui qui m’a le plus marquée c’est de commencer, de faire un truc rapidement. Ça ne va pas être parfait du 1er coup, voir ça va être nul, et c’est normal. C’est important de tâtonner, de faire des erreurs, et de toute façon il n’y a qu’en faisant qu’on apprend. Commencer permet de dédramatiser et d’avoir une vision plus réaliste de son projet : on ne fantasme plus un truc idéal mais on est dans le concret, en voyant plus précisément ce qui doit être amélioré/développé/repensé.

Ça parait bête mais ça permet aussi tout simplement de se rendre compte du temps que ça prend, et d’ajuster en fonction. Un conseil pratico-pratique essentiel que m’a donné Fanny de Passion médiévistes : faire une bande-annonce. C’est très important parce qu’Apple Podcasts s’octroie une espèce de monopole de validation sur la diffusion des nouveaux podcasts. Ce processus de validation du 1er épisode peut prendre jusqu’à 10 jours, pendant lesquels l’épisode n’est diffusé sur aucune autre plateforme. Une bande-annonce permet de faire valider en amont son podcast par Apple, et ne pas rater son lancement au moment du 1er épisode.

J’ai trouvé aussi énormément d’infos dans les Coulisses du podcast, un podcast qui donne des conseils pour en créer, et couvre à peu près tous les aspects, de façon très détaillée et pédagogique. »

Le pire conseil reçu pour Vénus s’épilait-elle la chatte ?

« On m’a recommandé de ne pas faire un podcast, mais plutôt une chaine YouTube, parce que l’art c’est visuel et à l’audio ça ne fonctionnerait pas. C’était un conseil d’une personne qui s’y connait très bien en podcasts, c’était bien intentionné et sans aucune malveillance, mais ça m’a empêchée de faire quoique ce soit pendant plusieurs semaines.

« J’ai appris à me faire confiance »

D’une manière générale, je recommande d’écouter les conseils de personnes qui s’y connaissent un peu et dont l’expérience peut être bénéfique, mais aussi de s’écouter soi et de ne pas suivre les conseils qu’on ne sent pas. Pour moi ça a été une grande révélation en faisant Vénus : j’ai appris à me faire confiance, et arriver à me dire que les autres ne savent pas mieux que moi par défaut. »

Le conseil de Julie Beauzac pour celleux qui voudraient se lancer en podcast

« Je répèterais le meilleur conseil qu’on m’a donné, c’est-à-dire se lancer et apprendre sur le tas au lieu de procrastiner et de se concentrer sur des points qui sont en fait des détails.

Ce n’est pas un processus linéaire, se lancer n’engage à rien, et on apprend bien plus en faisant qu’en réfléchissant sur son pitch. C’est plus facile à dire qu’à faire, je sais, mais ça vaut vraiment le coup.

Si on en ressent le besoin et qu’on en a les moyens, ça peut aussi être intéressant de faire une formation, que ce soit sur un point précis ou sur créer un podcast en général. Avant de commencer Vénus, j’avais fait une formation d’une journée en groupe avec Anouk Perry, qui m’a beaucoup apportée pour « déblayer le terrain » avant de m’y mettre vraiment. »

Les dernières actus sur le projet Vénus s’épilait-elle la chatte ?

J’ai lancé mon Patreon en juin, qui me permet de faire la transition avec le chômage et de pérenniser Vénus sur le long terme. J’y poste régulièrement des articles d’une dizaine de pages, plus approfondis que ce que je propose sur Instagram.

Ce sont des guides féministes de musées ou des articles thématiques, par exemple sur la culture du viol dans l’art. Le dernier était sur la représentation des vieilles femmes et j’ai adoré l’écrire, même si c’est assez navrant de voir que beaucoup de stéréotypes n’ont pas beaucoup bougé depuis des siècles.

Il y a aussi des épisodes et des extraits bonus, des rencontres sur Zoom et tous les mois un bilan culturel avec des reco de BD, podcasts, romans, films, séries et autres chaines YouTubes féministes.

Après une pause salutaire suite à l’épisode sur Picasso qui m’a beaucoup affectée, je suis en train de travailler sur le prochain épisode. J’ai bientôt fini le script et la sortie est prévue pour le printemps 2022. C’est un sujet vraiment intéressant, qui a beaucoup de résonances contemporaines, j’espère que ça plaira aux auditeur·ices.

J’ai bon espoir qu’en septembre avec Anne-Lise on puisse sortir des carnets à thèmes dérivés du podcast, sur le même modèle que l’Agenda Malpoli que l’on avait lancé à l’automne 2020. On aurait voulu le faire l’année dernière mais suite au covid les délais d’approvisionnement des matériaux étaient trop risqués, donc on a préféré attendre pour faire les choses bien. »

Merci beaucoup à Julie de s’être prêtée au jeu de l’interview et d’avoir partagé son histoire et ses conseils. Vénus s’épilait-elle la chatte ? est un podcast disponible sur toutes les plateformes d’écoutes et qui compte déjà de nombreux épisodes passionnants. Vous pouvez aussi suivre son compte sur Instagram pour profiter de tout le contenu que Julie y partage. Enfin, pour soutenir son travail, abonnez-vous à son Patreon et bénéficiez de contenus exclusifs !

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6 commentaires

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  1. Très chouette article ! Merci Mathilde de m’avoir fait découvrir ce podcast que je trouve riche, très agréable à l’écoute, instructif, et nécessaire. Bravo à Julie ! J’espère avoir un jour la chance de la rencontrer !!

  2. Merci c’est vraiment génial de vous lire et de voir votre parcours c’est vrai que c’est dur d’être vieille, artiste et fatiguée d’un peu tout mais vous lire Ah! Ça me me fait tellement de bien Alors merci n’arrêtez pas surtout vous êtes vraie🌹